Récit – La naissance de ma fille : l’histoire de Viola

Je m’appelle Viola, j’ai grandi aux Pays-Bas, où l’accouchement à domicile est presque une tradition culturelle. Pourtant, c’est en France, le pays de mon compagnon, que notre premier enfant a choisi de naître. J’ai longtemps hésité entre mes racines et ma nouvelle vie, mais quelque chose en moi me soufflait que cette naissance devait avoir lieu là où notre amour avait commencé. Ce choix, je le porte encore aujourd’hui comme une trace tendre, une empreinte sur ma maternité.


Le matin du changement

Ce matin-là, j’ai ouvert les yeux avec une intuition profonde : quelque chose dans mon corps avait basculé. Les contractions étaient déjà présentes, régulières, exigeantes mais encore supportables.
Il devait être autour de six heures, et la lumière du jour filtrait doucement à travers les rideaux. Tout semblait étrangement calme, comme si l’univers retenait son souffle avec moi.

Je continuais mes activités du quotidien pour rester ancrée : ranger, couper des légumes, préparer de quoi manger pour plus tard… Peut-être que, quelque part, j’essayais de différer le moment où je devrais plonger totalement dans ce passage.


L’arrivée de la sage-femme & les premiers mouvements actifs

Notre sage-femme, Marie, est arrivée dans l’après-midi avec son regard doux et son énergie posée. Une vérification rapide a montré que le travail avait déjà bien commencé : mon corps s’ouvrait, lentement mais sûrement.

Elle nous a proposé de sortir marcher, d’utiliser les escaliers près de l’immeuble, de laisser la gravité devenir ma complice.
Chaque marche était une contraction amplifiée, chaque inspiration sonnait comme une micro-décision : je vais au bout.

De retour à la maison, nous avons installé la piscine de naissance dans le salon — une grande piscine gonflable turquoise, presque décalée dans notre décor mais tout de suite rassurante. Je me suis glissée dans l’eau, et immédiatement, j’ai senti mon corps se relâcher, comme s’il reconnaissait un environnement archaïque.

L’eau chaude a fait taire le mental.


La rencontre avec l’intensité

Pendant plusieurs heures, j’ai enchaîné des mouvements répétitifs : me suspendre, m’accroupir, me redresser, tout en m’appuyant sur la table du salon — mon rocher, mon pilier, ma porte de transition.

Ce n’était plus seulement gérer la douleur, mais entrer volontairement dedans, sans retenue, presque avec une forme de curiosité primitive.
Je ne fuyais pas.
Je coopérais.

Je faisais des sons graves, comme des vibrations anciennes — des « om » qui semblaient sortir d’un lieu intérieur que je n’avais jamais exploré. Je visualisais mon bébé glissant vers le bas, trouvant sa route. C’était à la fois bouleversant, intense, presque sacré.


La chambre : l’étape décisive

Quand je suis arrivée à dilatation complète, nous avons quitté le salon pour la chambre. La lumière y était plus douce, l’atmosphère plus intime, presque irréelle.

Mais c’est là que les premières inquiétudes médicales se sont glissées. Les battements de cœur de mon bébé étaient plus bas que prévu, les miens aussi.
Marie a commencé à surveiller avec une vigilance extrême. Elle avait le regard d’une personne douce, mais déterminée, prête à sortir de sa zone de confort pour nous protéger.

Elle m’a demandé de pousser même si l’envie n’était pas complètement présente, pour tenter de raccourcir le processus. Une partie de moi n’était pas prête, mais je savais qu’elle ne faisait aucune demande au hasard. Son visage ne mentait pas : il fallait accélérer.

À ce moment-là, mon compagnon a reçu un murmure à demi-voix :

« Peut-être préparer un sac… au cas où. »

Je n’ai pas entendu clairement les mots, mais j’ai perçu l’agitation contenue, les regards qui se croisent, les respirations retenues.
Une autre partie de moi s’est éveillée : l’énergie de survie, l’énergie de la mère.


La bascule & la naissance

Sans que je puisse vraiment expliquer comment, quelque chose s’est réaligné — ma respiration, mes poussées, l’engagement de mon bassin… et le rythme du bébé est remonté.

En quelques minutes, mes efforts sont devenus efficaces.
J’étais à moitié accroupie au bord du lit, suspendue entre deux mondes : celui d’avant et celui d’après.

Mon compagnon, le front collé au mien, murmurait des mots que je n’entendais pas distinctement, mais dont je percevais la chaleur.
Marie, derrière moi, accueillait le passage imminent de la vie.

Et puis… il est né.

Dans une sensation qui ne ressemblait pas à de la douleur mais à une force qui se libère, comme si la terre entière me traversait.
Le silence après la sortie du bébé m’a enveloppée comme une vague :
pas de cris, juste un calme parfait, irréel, presque sacré.

J’ai pensé immédiatement :

« Je pourrais recommencer. C’est magnifique. »


Le rendez-vous du lendemain… avec la vie

Notre bébé n’a pleuré ni à sa naissance, ni les jours suivants.
Il est resté posé sur nous, lové, tranquille, avec cette paix que seuls les nouveau-nés gardent quelques jours — comme s’ils se souvenaient encore d’un autre monde.

Nous ne sommes pas sortis du lit pendant quatre jours.
Nous avons vécu la fusion primitive, la parenthèse sacrée.

Ce moment, je le porte encore comme un souvenir gravé, lumineux, intact.